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Portrait de leader : Bill Shipley

La constance de l'anti-jardinier

Bill Shipley
Bill Shipley

13 septembre 2007

Robin Renaud

Chercheur en écologie, Bill Shipley consacre sa vie à comprendre le comportement des plantes. L'un de ses projets réalisés l'an dernier a eu un fort retentissement dans la communauté scientifique. En observant certaines caractéristiques des plantes – comme par exemple, la taille des feuilles ou la profondeur des racines – puis en employant des formules de prédiction mathématique, il a établi un modèle qui permet de déterminer l'évolution d'une zone de végétation dans le temps. Une idée qui, patiemment, germait dans son esprit depuis une vingtaine d'années.

Originaire de Toronto, Bill Shipley a découvert les Cantons-de-l'Est en venant étudier en biologie à l'Université Bishop's, au début des années 80. C'est à cette époque qu'il a eu la piqûre pour la carrière scientifique. «Enfant, je voulais devenir écrivain, mais à l'université j'ai été grandement inspiré par un de mes professeurs, Robert Van Hulst, qui m'a convaincu de faire carrière en écologie théorique. Il m'a fait découvrir le mariage possible entre les mathématiques et l'écologie.»

C'est aussi dans sa région d'adoption qu'il a rencontré la femme de sa vie. «Quand un poste de professeur a été proposé à l'Université de Sherbrooke, en 1992, il n'était pas question que je refuse. C'était Sherbrooke ou le divorce!» rigole-t-il.

Plus sérieusement, Bill Shipley estime que Sherbrooke offre un milieu exceptionnel pour la recherche : «Nous évoluons dans une université de taille idéale. J'ai eu l'occasion de mener des recherches dans de grandes universités. Le fait de travailler auprès d'un grand nombre de chercheurs était plutôt stérile. Il était plus difficile d'interagir avec tant de personnes. Ici, nous sommes une petite équipe, ce qui commande une plus grande polyvalence. Nous avons toutefois un contact privilégié entre collègues et avec nos étudiants.»

L'histoire d'une découverte

La publication dans la prestigieuse revue Science de son article «From Plant Traits to Plant Communities : A statistical mechanistic approach to biodiversity» est le fruit d'une dose de persévérance, de collaborations et de coïncidences. «C'est une histoire un peu compliquée. En fait, je souhaitais que la notion théorique constitue un chapitre de ma thèse de doctorat (en 1987). Sauf qu'à l'époque, je n'avais pas les données nécessaires ni les moyens pratiques d'effectuer les calculs mathématiques pour faire la démonstration. Alors mes directeurs de recherche m'ont demandé de retirer ce chapitre. Mais j'avais toujours gardé cette idée en tête. C'est grâce à l'arrivée de nouveaux algorithmes mathématiques, et à la collaboration des chercheurs Éric Garnier et Denis Vile, du CNRS de Montpellier, que j'ai pu faire avancer le projet», explique-t-il.

Les trois chercheurs ont donc procédé à l'analyse de la végétation provenant de sites de vignobles abandonnés depuis 2 à 42 ans et naturellement recolonisés par la végétation. Le modèle de prédiction qu'ils ont établi a pu atteindre un taux de succès de 94 %. Il devenait donc possible de prévoir quelle espèce peut devenir dominante dans une communauté végétale, quelles seront les espèces rares, quelle sera l'abondance relative de chaque espèce et quelle espèce aura disparu.

Les commentateurs de la communauté scientifique ont parlé d'une «renaissance» dans l'étude des communautés végétales. L'article initial fait l'objet de débats et d'autres projets sont en cours pour confronter le modèle.

«Depuis la publication, j'ai reçu deux manuscrits distincts de chercheurs qui travaillent sur le même thème, dit le professeur. J'avais de la compétition sans même le savoir!»

L'antithèse du jardinage

Le modèle de prédiction de l'évolution des communautés végétales pourrait donc ouvrir de nouvelles avenues, si bien sûr d'autres études en confirment la validité. «On pourrait en arriver à créer une sorte de génie écologique. Autrement dit, un domaine qui permettrait l'application concrète de ces techniques sur le terrain, en vue de mieux gérer nos ressources.» Actuellement, différents projets sont donc menés pour continuer de pousser davantage les connaissances découlant de la découverte. Un doctorant a entrepris un projet de recherche pour mettre à l'épreuve le cadre théorique avec un échantillon beaucoup plus considérable, en Angleterre. «Les données préliminaires semblent indiquer qu'il faudra resserrer le modèle, explique le professeur. Ce projet devrait donc permettre de connaître les limites du modèle et de le préciser, ce qui est très stimulant.»

Qu'un scientifique étudie à ce point les plantes, leur comportement, leurs interactions, leur passé et leur avenir, voilà qui en ferait sans doute un bon jardinier. «Pas du tout! réplique Bill Shipley. Je n'aime pas la notion de jardinage, parce qu'on force la nature à faire ce qu'on veut, avec une plante qui pousse ici plutôt que là. Ce qui m'intéresse, c'est de comprendre comment la nature s'organise par elle-même. J'ai lu quelque part que le message de la science est que la nature est menée par des lois. Les chercheurs doivent se contenter de les trouver.»

Bill Shipley serait donc l'antithèse du jardinier. Chercheur en écologie, il se désole de voir la dégradation de la planète. Est-il optimiste pour l'avenir? «Ça dépend des jours. En général, je suis pessimiste, parce que même si les remèdes sont connus, les enjeux économiques ou politiques bloquent souvent les solutions. Mais certains jours, mon côté scientifique reprend le dessus, et je sais qu'on peut solutionner des problèmes spécifiques, un à la fois.»

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